« Cette liberté, laissée au gouvernement ...»
Dictait la voix rapide et monocorde du professeur. Ce cours me faisait
chier. J’en avais marre de le prendre en note. Mes pensées se sont
mises à dériver. Et en observant l’amphi je me suis mis à
écrire une nouvelle. Je me laissais guider par les mots et mes impressions...
Dernier cours.
L’amphi était très attentif. Cette petite gueule de taupe,
Rapha dixit, était très douée pour faire taire un
amphi. Il dictait très vite et il ne fallait surtout pas louper
un mot, car ses phrases étaient très élaborées.
On entendait à peine un chuchotement, de temps en, temps quelqu’un
souffler ou tousser. Peut-être aussi était-ce la grisaille
de l’hiver et la lassitude qu’elle inspirait qui poussait l’amphi à
se retrancher dans cette apathie générale.
IL était au milieu d’une rangée, la cinquième.
Il a bien choisi son moment, quand il s’est levé, très peu
ont fait attention à lui. Ils étaient tous le nez sur leur
copie, égoïstes. Le prof lisait son cours en mangeant son micro.
Seules quelques personnes des trois derniers rangs, derrière lui,
l’ont aperçu.
Ses tempes martelaient son crâne. Son cœur lui donnait l’impression
d’être vide. N’irriguant plus et n’étant plus irrigué.
Ses membres vides de sang, tremblaient. Il réunit le reste de ses
forces. Cela ne rimait à rien. Toute sa jeunesse travailler comme
un fou pour avoir le droit de travailler toute sa vie durant. Cette compétition
toujours présente, marcher sur les autres, les écraser. Tout
ça, c’était trop. Il n’avait pas le courage d’aller jusqu’au
bout. De prendre en charge l’avenir du monde. Si Dieu avait existé,
ne l’aurait-il pas aidé ?
Il n’avait pas le courage de continuer, parce qu’il n’avait pas la
lâcheté d’ignorer certaines questions. Drôle de paradoxe.
Pourquoi la haine, les désastres, les violences, la vie ...
Même s’il n’arrivait pas à les poser aux autres.
Il fallait qu’il parvienne au dernier objectif qu’il s’était
fixé.
Ne serait-ce que pour elle. Qu’elle sache qu’elle avait été
aimée par un être unique. Un de ceux qui regardait les choses
en face et voyait que la vie ne rimait à rien. Qu’on ne faisait
qu’avancer dans un brouillard épais, sans même le sol sous
nos pieds. Les uns emmurés dans leur travail, les autres dans la
drogue ou l’alcool, parfois les deux. Ceux qui croyaient avoir trouvé
l’amour mais qui se trompaient sans cesse. ( Dans les deux sens du terme.)
Ceux qui faisaient des gosses pour se convaincre qu’ils avaient vécu.
Lui voyait. Alors, il a levé le bras. L’arme était dans le
prolongement de son poignet. Comme faisant corps avec lui. L’acier rejoignit
sa tempe. Son sang ne martelait plus. Le canon lui semblait doux et chaud.
La paix intérieur l’envahit. Seul un de ses doigts s’est encore
crispé, sur la gâchette. D’abord ce fut un éblouissement,
puis aussitôt un bruit sourd, étouffé, la détonation,
qui s’est perdue dans la nuit, Dans un black out total. Juste pour quelques
courts instants encore un bruit de magma, son cœur qui suffoque... Et des
cris de plus en plus lointains.
Posée devant lui, une feuille tachée de sang commence
par :
« cette liberté laissée au gouvernement... »