Elle m’a demandé si elle pouvait s’asseoir.
Je l’ai à peine regardé. Je ne voulait pas donner l’impression
d’insister. J’ai juste remarqué ses yeux bleus, des cheveux blonds,
et un sourire. J’ai dit : « oui, bien sûr. » Elle s’est
installée à mes côtés, puis très vite
s’est mise à travailler.
Le train était bondé. Elle aurait
pu s’installer ailleurs, avec un autre, mais pas toute seule. Moi j’étais
fatigué. J’avais branché mon walkman et j’écoutais
les yeux fermés. Et cette odeur, ce parfum était là.
C’était délicieux. Je m’imaginais qu’il était mien.
Pas « mon » parfum, mais celui de mon aimée. Attention,
je n’imaginais pas que c’était elle, non. En fait, je n’y plaçais
pas vraiment quelqu’un. Juste ce sentiment magique d’un sentiment partagé.
On aurait pu être en voiture, n’importe où, dans un lit, anéantis
par un moment grandiose. Béat, proche de l’engourdissement, j’aurais
senti ce parfum. Du moins pas ce parfum en particulier, mais un parfum
aimé. Celui qui, j’en ai honte, aurait voulu dire que j’avais, que
je « possédais » quelqu’un à moi. Mais aussi
que j’appartenais à quelqu’un. En un parfum, elle m’a fait connaître
un sentiment que j’avais oublié : celui de l’intimité. Pourtant
nous n’étions pas intimes. Mais nous avons partagés un peu
d’espace, un peu de chaleur. Et si l’air que l’on respire est le même
pour tous, celui-ci l’était particulièrement, nous étions
si proches.
Je sais que le train arrivera, elle se lèvera
puis s’en ira. Moi je retournerai dans ma solitude, et elle dans sa certitude
de n’avoir rien manqué. Mais en attendant, je voudrais la remercier
pour ce que, sans le savoir, elle m’a donné : cette illusion d’être
entourée, ce parfum tant désiré.
Et une partie de moi ne peut s’empêcher
de fredonner, un air par lequel je me sens concerné, une vielle
chanson, un vieux 45 tours, chipé à mes parents et qui m’a
toujours fait rêvé. Un air de Georges Brassens qui disait
comme ça :
« Un pt’it coin d’paradis,
Contre un coin d’parapluie,
Elle avait quelque chose d’un ange... »