Humphrey Bogart.

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        Humphrey Bogart. C’est l’image qui m’est venue à l’esprit quand j’ai tiré sur ma clope que je tenais entre le pouce et l’index, quand je l’ai laissé tombée et que je l’ai écrasée avec la pointe de ma chaussure. Il ne me manquait plus que l’imper et le borsa. J’avais cette même expression, ce regard qui tenait un peu du chien battu, celui de l’homme qui sait qu’il ne peu plus reculer, et que son destin et sur le point d’être joué. Et cette résignation, pleine d’inquiétude, contribuait aussi à donner un regard froid et dur.
 P.I., private investigator. Un des rôles de Bogart. C’était celui que j’avais décidé de jouer depuis que j’avais repéré leur trafic. C’est vrai que j’ai dû mener une enquête. J’ai dû les démasquer un à un, sans me faire repérer. Facile pour moi, j’ai toujours eu l’art de passer inaperçu. Et puis Bogart à toujours été droit et juste, ce que j’ai toujours voulu être. Et que je ne pourrais plus revendiquer. J’aurais peut-être dû jouer une autre figure. Pourquoi pas Al Pacino dans un des rôles de maffieu et de pourriture qu’il affecte tant ?
Toujours ce besoin de jouer, de tricher. Personne ne m’aura jamais percé  à jour. L’insaisissable. Triste quand on le croyait gai, gai quand on le croyait triste... L’insaisissable, c’est ce que j’espère rester. Mort ou vif, pas de demi mesures. Moi ou eux.

        Le bateau arrivait. Il allait mettre un peu d’animation. Les fascistes sont sortis de la voiture. Deux avec le crâne rasés. Et avec les cheveux au carré, impeccables, type militaire. Pas un plus long que l’autre. Ce type là était carrément le bras droit d’un parti d’extrême droite. Celui qui s’était livré au trafic d’armes avec la Yougoslavie. Beaucoup de contacts en Afrique. Les armes viennent de là bas. C’est curieux. Au fil de ma filature, j’ai découvert que les armes sont refilés pour la moitié de leur prix à des groupes islamistes. Le leader du parti fervent idéologue de l’extrême droite soutient des groupes islamistes, en fait des groupes islamistes armés, sur le sol de la France. Tout compte fait ce n’est pas tellement curieux, on sait à qui profite l’insécurité en France. Mais je me demande qui manipule l’autre. Ce bœuf éructant  sera-t-il vraiment capable de lutter contre les arabes si un jour il arrive au pouvoir ? Pardon, les arabes ! Pfa ! Je tiens des propos racistes ! Je fais un amalgame. Difficile à éviter d’ailleurs. Mais non, les arabes ne sont pas tous des terroristes. De même que le peuple allemand n’est pas collectivement tenu responsable de la deuxième guerre mondiale. En Algérie, ce sont des arabes qui souffrent. En France aussi d’ailleurs.

        Les deux skins sont à la fac. En fait ils étaient plutôt sympa. Je les ai pas souvent vu en cours, mais faut dire que je n’y allais pas non plus. Ils n’étaient pas du tout antipathiques, c’est ce que je veux dire. Brigitte Bardot n’en a pas l’air non plus et pourtant ... Ils ne se faisaient pas remarquer, ne développaient pas leurs thèses, des gens comme vous et moi. Juste les crâne rasé ou les cheveux très cours. Et alors, moi aussi il m’arrive d’avoir les cheveux très cours.
Un soir d’hiver pluvieux, j’étais à Deschazeaux, je rentrai du badminton. Assez stressé d’ailleurs. Le quartier et plutôt sombre, et je suis tellement musclé ! Je les ai vu sortir d’une ruelle. Ils ne m’ont pas remarqués. Faut dire que je fais toujours extrêmement attention. J’essaye toujours faire le moins de bruit quand je rentre tard le soir. J’ai l’impression qu’ainsi j’évite de prévenir d’éventuels agresseurs que j’arrive.
Ils ont fait quelques pas à 70 m devant moi. Puis ils ont repris une ruelle à droite. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Une sorte de pressentiment. J’ai eu le réflexe de me dissimuler derrière une poubelle. J’ai attendu 15 secondes et un des gars, il s’appelle Marc je crois, l’autre s’appelle Cédric, Marc donc, et ressortit de la ruelle. Il est resté au bout, il regardait régulièrement à droite et à gauche. Il faisait le gué. Je me suis tapi contre le mur, le long du trottoir, derrière la poubelle, à l’abris de ses regards. Puis j’ai entendu le bruit d’un moteur. Un gros moteur. J’ai jeté un coup d’œil depuis ma poubelle. C’était le bruit d’une grosse Mercedes noire. Au moins une 500, je sais pas. Elle est arrivé par en face et a tourné à gauche dans la ruelle. Marc s’est mis à courir à côté. Ils ont disparus dans la ruelle.
 Je crois que ma vie m’a toujours passionnée. Une vie trépidante. Le succès avec les femmes, l’argent, l’aventure... Ça doit-être pour ça que j’ai pas voulu prendre de  risque, j’ai fait demi-tour et je me suis barré en courant... Non, en fait je suis allé au coin de la ruelle. Prudemment quand même. Mêlant le bruit de mes pas légers à celui de la pluie qui tombait. La ruelle devait faire une cinquantaine de mètres de long. Ils s’étaient réunies à mis distance de chaque extrémité. La scène était peu éclairée. En effet la ruelle ne disposait que de l’éclairage des deux rues principales qu’elle joignait. Son centre était donc rudement sombre. La pluie était top forte. Je ne pouvais pas entendre ce qu’ils disaient. Et je n’avais aucun moyen de me rapprocher. J’étais trempé, j’avais froid. J’ai décidé de faire demi-tour et de rejoindre la rue de Verdun par la ruelle précédente, afin de rentrer chez moi.
Je suis arrivé lessivé. Je n’ai plus eu qu’à essorer mes vêtements et à dormir.

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