Humphrey Bogart
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Les grandes surfaces offrent une
sorte d’impersonnalité et d’anonymat qui me paraissait adéquate
au genre de photo que j’avais réalisé. C’est donc sans inquiétudes
et sans problèmes que j’ai retiré les photos. J’aurais pu
les avoir samedi mais ça m’était complètement sortit
de la tête.
J’ai attendu d’être à
la maison pour les regarder. Elles n’étaient pas fameuses. Mais
il en suffisait d’une un peu mieux réussie que les autres pour me
donner une idée du type auquel j’avais affaire. Sa tête ne
m’était pas inconnue. Mais je ne voyais pas où j’avais bien
pu l’avoir croisé. J’étais même à peu près
sûr de ne l’avoir jamais croisé. Alors où ? Les médias.
J’avais vu sa tête dans un journal. Mais je ne lis quasiment jamais
la presse écrite. La télé ? Je ne regarde pas les
journaux télés. Sauf un . Le vrai journal de Karl Zéro.
Je crois que c’étai ça. J’avais du le voir dans cette émission.
Mais comment en être certain ? Il fallait que j’attende la fin de
la semaine. Je pensais pouvoir faire des recherches à la Médiathèque
(relativement neuve, d’Evreux.) Dans médiathèque, y’a média
non ? Et la télé c’est un média non ? Donc il devait
y avoir des archives, CQFD.
Il me restait une semaine à
tuer. Je ne voyais pas l’intérêt de surveiller Marc et Cédric.
Je suis donc retourné à quelques cours. Revoir quelques potes...
Ils ont été plutôt sympa. J’ai presque cru qu’ils tenaient
à moi. Ils avaient l’air de s’être inquiétés.
Je leur ai dit que j’écrivais un truc sensas et que je voulais surtout
pas être dérangé. Mais que cette semaine, j’avais besoin
de faire une pose. Plutôt simple non ? Ils ne se sont pas posés
de questions. Mais ils m’ont tous fait jurer de leur faire lire ce que
je préparais.
Par contre il y avait un problème
que je devais résoudre. L’arme. J’avais besoin d’une arme. J’ai
pensé à Dorothée. C’était une bonne copine
que j’avais au lycée. On avait discuté pas mal de fois ensemble,
et une fois on avait abordé le sujet des armes. Je préfère
ne plus penser pourquoi. Toujours est-il qu’elle m’avait dit qu’elle pouvait
m’en procurer une. Le problème c’est qu’on avait pas vraiment gardé
contact depuis que j’étais parti au Havre.
C’était une fille,
quand les gars la voyait ils disaient « elle est bonne », elle
était plus que ça elle était sensuelle, bouche et
regard, combinés à un corps de rêve. Y désiraient
tous se la taper. Mais elle n’était pas que bonne, elle était
drôle. Drôle mais pas le genre comique, le genre imprévisible.
Un grain de folie, très attirant. Mais elle avait son mec 21 ans.
Et en dehors de ça, elle ne supportait plus par les mecs qui ne
voyaient qu’un corps en elle. J’vais pas dire que c’était pas mon
cas, mais, je crois qu’on peut quand même soutenir une certaine conversation
avec moi, en dehors du sexe. Oh, on a parlé de sexe aussi, elle
devait jouer avec moi, j’étais tellement coincé. Mais elle
me faisait confiance. En fait j’en sais rien. C’est juste que je dois avoir
un don pour ça. Je suis le copain. Pas le petit copain, le copain.
Pour la quatrième fois, j’étais le copain. Ça à
parfois de bon côté. Je suis celui qui reste le plus longtemps.
Parfois les petits amis défilent, mais l’ami reste. On se console
comme on peut. À la fin c’est toujours moi qui ai mis les voiles.
Pas du tout frustré quoi.
Dorothée, je devais bien
avoir gardé son numéro à Evreux. Donc pour l’instant,
pas de panique, tout se nouerait à Evreux. Il me fallait continuer
à laisser tranquillement couler la Seine, et la semaine.
J’ai téléphoné à Dorothée vendredi soir.
Son numéro était sur l’agenda de mon année de première.
Elle était surprise de m’avoir au bout du fil. J’ai senti une sorte
de nostalgie dans sa voix. Et ma gorge s’est nouée. J’ai pris rendez-vous
pour le lendemain. En début d’après midi. Au Hastings. Bar
à bières et cocktails. À deux heure moins cinq j’étais
à la terrasse du Hastings. Je prenais un bain de soleil. L’air était
doux, on sentait approcher le printemps. J’aurai pu attendre des heures
comme ça. J’étais bien. Au soleil, un verre à la main,
le défilé incessant des ébroïciens comme spectacle...
Mais elle est arrivée très vite. Je me suis levé pour
l’accueillir, bises. Elle a commandé une marguarita. On a parlé
de tout et de rien, surtout de rien ; ma vie, sa vie depuis mon départ.
On a étalé presque deux ans de notre vie sur une simple table
de bistrot en à peine une heure. Regardez une autobiographie, ça
fait quoi, 300 pages ? Et qu’est-ce qu’il y a dedans ? Une vie. L’histoire
d’une vie. Et encore souvent ce que les auteurs imaginent de plus passionnant.
Le reste se disent-ils est trop commun. Et ben merde ! Une vie résumée
en 300 pages ! Et la plus part du temps, combiens de pages peuvent vous
surprendre ? 30 ? Le reste n’est que du vécu partagé. Ne
me faite pas dire que ce n’est pas intéressant. C’est toujours intéressant
de comparer sa vie, ces sentiments à ceux des autres. Et on est
content de voir son opinion partagée. Mais faudrait vraiment être
le roi des cons, et extrêmement prétentieux pour penser que
sa vie est intéressante.
Enfin, au bout d’une heure on a
abordé les choses sérieuses. Je lui ai demandé si
elle se souvenait qu’un jour elle avait prétendu qu’elle pouvait
me procurer une arme. Pourquoi ? Je lui ai annoncé qu’il fallait
que je m’entraîne, que je comptais devenir tueur à gage et
que j’avais besoin d’un fusil. C’est curieux, elle ne m’a pas cru ! Toujours
commencer par le pire. Alors je lui ai expliqué que j’avais fait
du tir sportif. Que j’avais trouvé ça passionnant. Mais que
je ne voulais pas me licencier, que ça coûtait trop cher,
qu’il fallait quand même acheter son arme et que tant qu’à
faire je préférais l’acheter directement.
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