Sur une note bleue.

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Voilà. Voilà la salle où il jouerait. Moyennant quelques billets le concierge l’avait laissé entrer. C’était un brave type, bourru, un peu imbibé, mais qui avait l’air de le comprendre, ce qui le rendait sympathique.
Il lui avait même préparé la scène, en baissant l’éclairage de la salle et en allumant un projo au rayon étroit, celui cernant le soliste dans une lumière bleutée. Ambiance « blue note » Romain, la gorge serrée, s’est appuyé sur la scène de la main gauche a sauté dessus lestement.
Sur la scène la poussière était déjà retombée sur le bois usé et craquant. Il était cinq heure du matin. La boite avait fermé deux heures plus tôt. Solennellement, Romain posa son étui sur un tabouret. Il fit jouer les serrures qui claquèrent sèchement, comme deux coups de feu, dans le vide de la salle. Il souleva le haut de l’étui et sortit sa trompette. Puis il s’installa au centre du rayon bleuté, frotta ses chaussures contre le parquet, soulevant un léger nuage de poussière bleue flirtant avec la lumière. Il réalisa que les jeux fumée dans la lumière manqueraient à l’appel. On peut difficilement imaginer une boite de jazz sans fumée. Il n’avait, non plus, aucun moyen de reproduire le bruit chaud, l’ambiance générale de la salle. Le tintement des verres, le bourdonnement sourd des conversations, le grincement des chaises déplacées, le battement des mains marquant le rythme.
Seuls quelques grands parmi les grands, comme Miles DAVIS, à la trompette ou Michel PETRUCCIANI, au piano avait pu obtenir un tel silence, un tel état de grâce transcendant l’ensemble des âmes de la salle en une seule oreille attentive.
Devait-il se réjouir de ce silence immérité ? Qu’importe. Il rêvait depuis longtemps de jouer sur cette scène. Il prit sa respiration et improvisa quelques notes pour se chauffer. Puis il ferma les yeux. Et commença à jouer. Son souffle créait les notes qui s’enchaînaient de plus en plus facilement. Bientôt, il se laissait emporter dans un solo endiablé. Il était transporté, intemporel et universel. Transcendé, il ne jouait pas de la musique, il était la musique.
Clap, clap, clap.
Revient sur terre Romain.
Clap, clap, clap.
Quelqu’un applaudissait. Le concierge ?
Eblouit par le rayon bleuté Romain n’arrivait pas à distinguer la silhouette qui s’avançait.
-« Bravo, jeune homme. »
Cette voix ne ressemblait pas à celle du concierge. Alors, qui était-ce ? Il devait être à peu près six heure du matin. Le personnel d’entretien ne se pointait qu’à huit heure. Romain sortit de la lumière.
L’homme qui se tenait en dessous de lui, devant la scène, était un géant américain, cheveux blonds courts en arrière, le teint mate, le sourire éclatant, les dents saines, le corps entretenu par les joggings
 

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